
Lors d’une réunion tenue le 14 mai dernier, Jean-Paul Debeaupuis, président du SIDS, nous propose de mieux comprendre comment s’est construit Le Vésinet afin de pouvoir l’inscrire dans une perspective de monde moderne et revient sur le sujet des clôtures, élément fondamental dès l’origine de ce site historique de l’urbanisme faisant partie du patrimoine national.
Histoire de l’urbanisme du Vésinet
La commune du Vésinet a été érigée sur un territoire constitué au fil des siècles en forêt de chasse royale. Au milieu du XIXe siècle, à l’initiative d’Alphonse Pallu, ce territoire de près de 500 hectares est profondément recomposé par un paysagiste de renom, le Comte de Choulot. Puis, cet immense parc, structuré par un réseau de lacs et de rivières artificiels, percé de vastes coulées, est divisé en près de 3 000 lots où les acquéreurs peuvent bâtir la maison de leur rêve. Il s’agit vraiment d’une œuvre d’urbanisme avant la lettre car le projet définissait, dès l’origine, des « centralités »: le « Village », le « Hameau du Petit Montesson », le Rond-Point où seront regroupés, sur des parcelles plus petites, les commerces et les services selon les termes d’un cahier des charges imposé aux acquéreurs.
Le premier règlement d’Urbanisme (1937) a pris en compte l’évolution de la taille des parcelles¹ pour éviter qu’elle se poursuive de façon non maîtrisée. Le plan d’aménagement d’alors a défini des zones, des plus grandes parcelles jusqu’aux plus petites, définissant au passage les « Centralités » et les règles particulières auxquelles elles sont soumises. Si Le Vésinet a pu conserver l’originalité et le caractère pittoresque de son paysage, c’est grâce à ce plan de 1937 et à tous les efforts faits par la suite pour maintenir dans les documents d’urbanisme suivants les mêmes principes généraux d’aménagement (Règlement de 1970, POS de 1979 et 1992, PLU de 2014) et se doter de mesures de protections supplémentaires (arrêtés de 1934, 1970, 1984, AVAP de 2018) qui ont fait défaut aux villes voisines et qui font aujourd’hui du Vésinet un Site patrimonial remarquable.
« Les mesures de protection sont l’affaire de l’état. La gestion du territoire est l’affaire de la municipalité. La préservation du caractère pittoresque de la qualité paysagère est l’affaire de tous. C’est ce qui donne l’image du Vésinet bien plus que tout le reste. »
Clôture et transparence, élément-clé de la ville-parc
Parmi ces règles qui ont forgé notre paysage, celles qui sont les plus anciennes et parmi les plus importantes concernent les clôtures. Dès le cahier des charges (1863) est affirmée la nécessité de clôtures assurant une « certaine transparence », ce que les urbanistes modernes appellent un « dialogue » entre l’espace public (la rue, les pelouses, les lacs et rivières) et l’espace privé (les jardins).

Dans l’absolu, tout système d’occultation totale devrait être banni. Si cette règle pouvait s’appliquer assez spontanément au XIXe et au début du XXe siècle, c’est que l’architecture d’alors mettait en scène les maisons avec des jardins ouverts, destinés à offrir aux regards le bâtiment, fierté de son propriétaire. Peu à peu, les règles architecturales ont évolué, les terrains se sont réduits, et la recherche d’intimité et de discrétion est devenue prépondérante.

Sans doute faut-il composer avec les réalités du temps. Si les systèmes hideux d’occultation que sont les bâches ou les cannisses (notamment en plastique) doivent disparaître, l’occultation par des clôtures végétales (vivantes) peut convenir si elle permet le dialogue entre l’espace privé et l’espace public (attention une haie totalement imperméable à la vue n’est pas harmonieuse). Les tôles partielles (vue en-dessus et en-dessous) bien entretenues et associées à des végétaux sont un moindre mal si elles permettent d’offrir des regards à partir de la rue sur un jardin mis en scène et fleuri qui bénéficie à tous.
Avoir une maison au Vésinet c’est donc avoir à coeur de contribuer à la qualité du paysage urbain de la ville en soignant l’aspect de sa clôture et en faisant en sorte que la notion de transparence persiste chaque fois que c’est possible. On ne peut pas mettre un gendarme derrière chaque propriétaire et la question est loin d’être prioritaire auprès des tribunaux… C’est donc l’affaire de chacun et de tous !
Pour SAUVER LE VÉSINET
Lire L’Art des Jardins ouvrage du Comte de Choulot (1863) réédité en 1982 en fac simile par le SIDS (€10) qui comporte tout un chapitre sur la création du Vésinet.
« Paul de Lavenne comte de Choulot, paysagiste (1794-1864) » par Virginie Jules et Pauline Sauveur (éditeur CAUE de la Nièvre, €20).
« Le Vésinet, modèle français d’urbanisme paysager 1858-1930 » dir. par D. Hervier et S. Cueille (Cahiers de l’Inventaire, 17, Paris, 1989, 140 p.).
¹Historique (schématique) de la taille des parcelles au Vésinet
-1858 – 1865 : les parcelles de 1 500 à 3 000 m2 du « lotissement général » se vendent par adjudication à un bon prix.
-À partir de 1865, les parcelles se vendent moins bien. Les adjudications cessent. Des spéculateurs achètent de gré à gré plusieurs parcelles pour constituer de vastes propriétés (villa de Joséphine Baker ou la Villa des Pages par exemple).
-Après la première guerre mondiale, on redécoupe certains îlots invendus et de grandes opérations immobilières se font (le lotissement des Charmettes par exemple) dans l’esprit des cités-jardin.
-Après la seconde guerre mondiale, le morcellement des grandes propriétés se généralise, ce qui porte atteinte aux arbres et à la végétation. Les règlements de 1970, POS de 1979, 1992, le PLU ont tenté de limiter cette tendance dans la mesure où la loi le permet.
Nous sommes en 2020: Votre article est de plus en plus d’actualité!
Promeneur régulier et habitant de cette ville, et pleinement conscient de sa valeur paysagère, je constate qu’il est plus que temps de sonner le signal d’alarme au sujet des clôtures !
Depuis peu de temps les comportements des propriétaires ont fortement changés. On ne cesse de voir de nouvelles horreurs : obstruction de clôtures par des bâches plastiques vertes (la grande mode de la bache!), rénovations non conformes, le manque de gout et le repli sur soi…
En date dans le quartier Sud nous pouvons noter deux catastrophes récentes :
– Lac Inférieur : un propriétaire a posé récemment une nouvelle clôture bordant le chemin de promenade amenant au lac (extrémité sud du lac). Cette clôture de par son caractère massif, uniforme et opacifiant n’est absolument pas en accord avec la qualité du lieu. Le caractère paysager est dégradé. Une haie végétale aurait très bien pu s’intégrer en lieu et place. On regrette la transparence de la précédente clôture qui était en harmonie et contribuait à aérer les lieux. A quand l’ajout du mat équipé des caméras de télésurveillance ?
– Promenade le long de la petite rivière rivière (Villanueva de la canada, coté boulevard Carnot) : un propriétaire n’a pas trouvé mieux que d’installer du fil de fer barbelé en haut de sa clôture grillagée, et pas n’importe lequel, du fil de fer barbelé type concertina (vous savez en forme de lames de rasoir comme on en trouve sur les bases militaires). Et pourquoi pas des douves plus quelques mines antipersonnelles tant que l’on y est? L’infraction a été constatée par la commune et le propriétaire est sommé de le retirer (toujours pas fait).
De façon générale on peut constater cette tendance actuelle à voir s’installer des clôtures opacifiantes et laides en contradiction avec le principe d’aménagement du Vésinet. Cela dévalorise le travail des paysagistes de la ville et on se demande pourquoi certains propriétaires en viennent à ce type de dégradation.. de leur lieu de vie. Tout cela est le signe de notre temps.
Il est urgent de rappeler les règles et d’agir VITE pour éviter cette dégradation progressive de notre cadre si exceptionnel.